Laiah

Texte - Je suis juste créatrice

Je suis juste créatrice

Tu sais quoi ? J'ai galéré à écrire ce texte. Comment savoir quels mots choisir pour exprimer exactement ce que je pense, sans intensifier mes propos, sans les diminuer non plus ? Comment faire attention à ne pas faire de généralités tout en me permettant de prononcer ce « vous » adressé aux personnes concernées ? Comment garder un air naturel, comme si j'étais simplement en train de parler ? Comment écrire sans me tromper, sans me perdre ? Comment défendre mes valeurs ? Comment aborder une thématique complexe avec l'expérience d'une adolescente de seize ans ?

Et bien après de nombreux mois à écrire, effacer, recommencer, je me suis dit que j'allais cesser de m'excuser avec une introduction, que j'allais cesser d'avoir peur. Peur de foirer le texte, d'être maladroite. Tu sais que c'est difficile de parler de ce genre de sujets. Tu sais que je suis jeune et donc que j'ai des erreurs à faire pour avancer dans ma vie. Tu sais que cet écrit est subjectif, que je ne détiens pas la vérité, que je parle avec mon expérience, et un peu avec celles d'autres personnes, sans avoir le vécu de tout le monde. Tu sais tout ça.

Bref, je veux parler d'un phénomène courant sur la Toile, parler de ce que c'est, d'être une femme sur le Web.

Avant de parler de mon cas, de ce qui m'est déjà arrivé et qui m'arrive encore, je vais généraliser le sujet. Sais tu ce que les gens, peut-être toi aussi d'ailleurs, disent parfois quand iels parlent des femmes vidéastes ou quand iels s'adressent directement à elles ?

 

« Mais t'es une fille, tu peux pas faire de vidéos ! »

« Si t'as des abonné·e·s c'est juste parce que t'es une meuf. »

« Plus tu montres ton corps, plus t'es populaire. C'est comme ça que ça devient célèbre une meuf. »

« Depuis quand une fille fait du gaming ou des chroniques ? »

« Mais si y'a des filles qui font des vidéos, elles font des tutos maquillage et elles racontent leurs vies xD »

« Elle a une grosse poitrine, elle s'en sert, c'est pour ça qu'elle a plein d'abonné·e·s, une pute quoi »

 

Je t'épargne les autres phrases du même genre. Ma réponse à ce type de propos est assez simple.

 

Tu peux faire des vidéos en étant une fille au même titre qu'un mec peut en faire. Non ce n'est pas parce t'es une meuf que tu as des abonné·e·s (même si oui, certains mecs ne s'abonnent que pour ça, mais j'y reviendrais plus tard). Tu peux très bien réussir dans la création sans montrer ton corps. Tu peux faire ce que tu veux, tu n'as pas à te catégoriser dans un concept à cause de ton sexe, un homme peut parler de maquillage et une femme peut jouer aux jeux vidéos. Et non, une femme qui a des formes n'est pas une pute. D'ailleurs tant qu'on en parle : quelle que soit sa vie, son physique, ses loisirs etc, une femme n'est pas une pute. Point. Et c'est aussi valable pour les femmes travaillant dans le domaine du sexe.

 

Les créatrices doivent être prises au sérieux de la même façon que les créateurs. Et c'est également valable lors des débats. Enfin, je dis « débats », je devrais plutôt dire disputes, les « shitstorms ». Ces évènements qui attisent la Toile et les réseaux sociaux, dans lesquels plusieurs personnes parlent d'un fait, d'un sujet au point que celui ci finit par prendre de l'ampleur. Généralement les mecs se font insulter, mais pour les femmes c'est différent. Il y a des insultes oui, mais aussi des propos sexistes, les récurrents « Retourne faire la cuisine plutôt que de traîner sur Internet. » ou encore « Mais pourquoi elles peuvent s'exprimer ? C'était mieux avant. »

 

Et bien sur, je n'oublie pas le rapport au sexe, sans cesse mis en avant dès qu'une femme défend une personne, des valeurs, un thème etc.

 

« - Elle doit m'aimer pour réagir comme ça.

- Fonce mec, tu vas pouvoir la tartiner. »

« T'as tes règles pour être autant de mauvaise humeur ? »

« T'as pas été bien baisée pour parler comme ça ? »

 

J'espère que ces propos te gênent, choquent, dérangent autant que moi. C'est horrible de voir ces réactions. Et après certains disent que l'égalité hommes/femmes est acquise ? Non, nous en sommes loin, et c'est pour ça que le féminisme est une cause importante.


 

Passons à la seconde partie du texte, celle où je reviens sur les mecs qui s'intéressent aux créatrices juste parce qu'elles sont des femmes. La partie qui me concerne le plus.

En me lançant dans la création sur Internet, de façon publique, je savais que je serais confrontée au regard et aux commentaires des gens. Évidemment, je suis une fille. Sur YouTube, sur les réseaux sociaux, quelque soit le lieu virtuel (voire parfois réel), elles subissent la curiosité, la pression du jugement. Parce qu'elles sont peu nombreuses sur le net. Parce que nous sommes peu nombreuses.

Prenons l'exemple de YouTube, sans compter les nombreuses filles faisant des vidéos comme des vlogs ou des tutos maquillage, car cette activité a permis une augmentation des demoiselles sur la toile (et bien que ce soit cliché de dire que les filles fassent ça, ce n'est qu'un fait, oui ce type de vidéos est majoritairement fait par les femmes, c'est dommage qu'il y ait peu d'hommes, mais bon, chacun·e fait ce qu'iel veut), combien de femmes vidéastes y-a-t-il ? A part les personnes qui prennent le temps de parcourir la plateforme pour découvrir créateurs et créatrices, la plupart me répondra les plus connues : Natoo et Andy.

Cette rareté féminine entraîne généralement de la curiosité, qui jusque là, est compréhensible, sauf que le problème, c'est que parfois, cette curiosité est gênante et intrusive. Je m'explique. Depuis que j'ai commencé à créer, c'est déconcertant le nombre de mecs, plus ou moins âgés, qui, sous prétexte de vouloir « en apprendre plus sur mon taff » m'ont en fait draguée de façon très osée et gênante.

Quand j'ai commencé à faire des vidéos, c'était par choix que je ne filmais que mon écran, sans montrer mon visage. Je souhaitais rester anonyme, par prudence, j'avais quatorze ans, et parce que je voulais que ceux qui regardent mes créations le fassent pour mon contenu, pas pour mon physique (qu'il soit aimé et joli ou raillé et horrible). Lorsque j'ai montré ma tête pour la première fois, et bien que la plupart des commentaires soient postés avec de bonnes intentions, je me serais volontiers passée des « t'es bonne » et « ton physique est très allaitant ».

Bon, les « tu savais à quoi tu t'exposais en commençant », bien que ce ne soit pas complètement faux puisque j'étais au courant, ça revient à la même mentalité que dire à une femme agressée dans la rue qu'elle est responsable parce qu'elle porte une jupe. C'est un non. Ce n'est JAMAIS la faute de la personne agressée dans la rue et ce n'est PAS ma faute si je reçois des messages irrespectueux. Je suis ici pour créer, pour partager, pour penser, pour écrire, pour construire, pour m'exprimer. C'est tout.

Bien sur, je suis tout à fait disposée à communiquer avec ceux·celles qui veulent parler de mes créations, ou les découvrir, ou même pour parler de sujets quelconques, de vous, de moi. Mais que ce soit clair, à part les gens que je connais bien, les sujets concernant ma vie privée et ma sexualité ne concernent que moi. Et ce n'est pas parce que je suis une fille que je dois être draguée et ne pas être prise au sérieux.


Parce que nous sommes des femmes sur le web, nous sommes une espèce rare à acquérir?
Et bien non, je ne suis pas d'accord, je le dis très clairement. Nous sommes des créatrices, nous partageons nos valeurs, nos idées, nos goûts, qu'ils soient semblables ou différents.

Je ne veux ni d'avances, ni de commentaires insistants sur mon physique, ni de gens qui viennent « tenter leurs chances ». Les sites de rencontres existent et les sites porno aussi. Ici je suis auteure, vidéaste et graphiste, amatrice cela va de soi. Mais avant tout, je suis féministe.

 

 

Un grand merci à ma bêta, Emma, je n'en avais pas avant, mais j'ai toujours su que si je devais en avoir un jour, ce serait elle. Ce texte était beaucoup trop important pour moi pour que je le publie sans relecture et correction, il était donc grand temps de lui demander de remplir ce rôle.

J'ai choisi de faire appel à plusieurs relecteur·ice·s, choisi·e·s avec soin. Merci donc à @pdpressif, @LoutreEcrivain, @Kitproquo, @jena_gs, @yaxmiasn, @mstonnal, @zbbspiaqpuq et @ShaShaTwo sur twitter ainsi qu'à Marion Tala, June Lensherr et Tabatah Ramone sur Facebook.


 

/Mai 2016 à Août 2016/

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